Assassins d’avant
Assassins d’avant est un roman noir aux dimensions pathétiques. Pourquoi et comment une institutrice très appréciée de ses élèves a-t-elle été tuée dans sa classe par l’un d’eux ?
25 ans plus tard, la fille de l’institutrice, Adèle, enquête pour avoir des réponses à ces questions et aussi à celle-ci : quel élève ?
Adèle s’appuie sur les compétences d’un policier, Manuel Ferreira, jadis élève de cette classe, et retrouvé grâce au site « copains d’avant », auquel elle présente une photo de classe. Celui-ci commence une recherche difficile où le passé est remué avec détermination. La consultation des procès-verbaux des élèves et des instituteurs, les protagonistes retrouvés vont contribuer à bouleverser de fond en comble la vie des personnages.
Au fil du récit construit suivant la technique narrative « un personnage, une voix, un chapitre », la vie de chacun ‒ vie familiale, vie sociale, vie intime ‒ va littéralement exploser pour se reconfigurer douloureusement.
Dans ce roman mené de main de maitresse, l’ombre de Victor Hugo est présente de bout en bout. Madame Moineau, l’institutrice, avait lu le poème de Victor Hugo à sa fille Léopoldine disparue tragiquement ‒ Demain, dès l’aube… ‒ et commençait à l’écrire sur le tableau quand une balle de revolver Beretta tiré dans le dos la frappa en plein cœur. Est-ce bien Ladji qui a tué la maîtresse ? Le destin va-t-il basculé pour Adèle et Manuel dont le jour pour eux pourrait être comme la nuit ?
Dans le dénouement formidablement bien orchestré par la romancière, le lecteur découvrira la part du volontaire et de l’accidentel dans la vie des gens, toujours sur la crête de la liberté et de la pression sociale.
DULLA
La Baba-Yaga
La Baba-Yaga est une ogresse dévoreuse d’enfants dans les contes russes. Dans ce roman noir, Élisa Vix en fait une œuvre poétique, fruit de la création de Louis Verneuil, vieil homme laid dont la jeune femme Tania venue de Saint-Pétersbourg est retrouvée assassinée dans un bois.
Entre en scène le lieutenant Thierry Sauvage, un policier de belle stature, dilettante au long nez, à la réputation d’efficacité douteuse, hostile à la hiérarchie et à la paternité, homme à femmes, amateur de whisky Jameson et de billard. Thierry Sauvage est flanqué d’une policière colossale, Joana Sénéchal, à la chevelure blonde qu’elle ramasse élégamment lorsqu’elle pose son casque sur la tête, et dotée d’une poitrine généreuse qu’elle contient parfaitement dans la combinaison de cuir qu’elle enfile lorsqu’elle grimpe sur sa moto.
Le duo qui se complète très bien dans leurs missions professionnelles possède aussi une vie personnelle plutôt agitée du côté du lieutenant et plus pathétique chez Joana, vies personnelles qui participent pleinement au déroulé de l’enquête, qui la perturbe ou l’enrichit, suivant les épisodes. Et puis Sauvage bénéficie des hautes compétences du médecin légiste, Philippe Seignol, misanthrope qui préfère la compagnie des morts à celle des vivants.
La mort de la belle Tania ne peut se comprendre sans investigations du côté de la clinique du docteur Lorrent, un gynécologue hostile à l’avortement et adepte de l’adoption des jeunes enfants. Complicité, arrogance, dévoiement et jalousie tracent un chemin aux multiples traverses où les références littéraires et cinématographiques participent de la résolution des crimes.
Au-delà de La Baba-Yaga Élisa Vix continuera les aventures de Thierry Sauvage et de ses partenaires dans trois autres romans tout aussi captivants.
DULLA
Bad dog
Bad dog propose une nouvelle enquête du lieutenant de police Thierry Sauvage, de sa coéquipière Joana Sénéchal et du médecin légiste Philippe Seignol, un as de l’autopsie. Une femme est égorgée par son chien, un rottweiler trouvé quelques jours plus tôt. Deux autres femmes perdront la vie, toujours par des rottweilers rencontrés à proximité de leurs domiciles. Des chiens aux tempéraments différents, pas agressifs a priori malgré leur nature. Pourquoi ces femmes ? Se connaissaient-elles ? Quels liens avec un ennemi commun qui utiliserait les chiens pour se venger ou perpétrer des actes cruels et sadiques ?
L’investigation convoque plusieurs témoins, parfois un peu malmenés lors des interrogatoires, Sauvage jouant le rôle du méchant et Joana de la gentille… ou vice versa. Comme dans tout bon thriller, de nombreuses portes sont ouvertes qui emmène le lecteur sur des pistes pas toujours éclairantes, mais certaines sont intéressantes à suivre qui offrent la possibilité de rassembler les éléments du puzzle et d’entrevoir la vérité des faits au-delà des conjectures policières.
Et puis il y a les personnages insoupçonnables comme le vétérinaire comportementaliste, autrement dit un psychiatre canin… ou ce professeur de sport qui humiliait ses élèves un peu fortes et qui s’est suicidé. Nombre de théories sont échafaudées qui s’effondrent brutalement laissant le couple de policiers non pas désemparé mais impuissant… avant de reprendre du poil de la bête. Car l’homme au long manteau noir au machisme provocateur et la femme féministe ne s’en laissent pas compter.
Bad dog est un beau roman noir avec au cœur de l’intrigue une invention astucieuse, celle que le criminel a imaginé pour tuer les trois femmes.
DULLA
Rosa mortalis
Rosa mortalis est une nouvelle aventure de Thierry Sauvage flanqué de Joana, surnommée « Le cheval » par le docteur légiste Philippe Seignol qui n’en finit pas d’être impressionnée par sa carrure. En toile de fond les manifestations des altermondialistes et les activistes du FAP (Front Anti Pub) dont la responsable est Maryse, l’ex-femme du lieutenant. Sauvage enquête sur le meurtre de Bernie Sainte-Croix, fille d’un industriel décédé, à la personnalité artiste, joueuse de flûte traversière et amatrice de roses bleues. Sa sœur jumelle, Thérèse, à la tête de l’entreprise, parait posséder un caractère inverse de celui de Bernie. Une atmosphère étrange flotte sur le domaine.
Dans le même temps un capitaine de gendarmerie enquête depuis des lustres sur le Monstre qui a violé la mère de Joana, puis plusieurs autres jeunes filles avant de les tuer, et tente de faire de Joana une alliée pour retrouver le criminel. Celle-ci réussira à abattre le tueur en des circonstances tout à fait singulières qui étonneront le lecteur. Joana, contrairement à Sauvage, est une bonne tireuse.
Il reste qu’il leur faut trouver l’assassin de Bernie. Les deux policiers y arriveront au fil de nombreux rebondissements. Ce que nous pouvons dire ici est ceci : méfiez-vous des critiques de livres, vous qui écrivez sur les livres. De mauvaises appréciations peuvent conduire tout droit à la mort. Mais aucun danger si ce sont des livres d’Élisa Vix, très bien construits, avec mystère et humour. Des livres qui sauvent.
DULLA
Le massacre des faux-bourdons
Le massacre des faux-bourdons plonge le lecteur dans cet univers si harmonieux de la fréquentation des abeilles, des bourdons, des faux-bourdons avec la représentation que toute personne sensible à la diversité s’en fait. Un univers peut-être pas si harmonieux que cela, non seulement du côté des abeilles aux mœurs un tantinet barbares, mais aussi des apiculteurs qui sont souvent malgré eux en butte à l’hostilité des agriculteurs utilisant des insecticides pour protéger leurs récoltes.
Or des apiculteurs sont retrouvés assassinés. À qui profite le crime ? Thierry Sauvage et Joana Sénéchal enquêtent. Comme dans les autres romans noirs d’Élisa Vix où sévissent les deux policiers, l’affaire se déroule dans la campagne de Picardie, et ici, plus précisément près du Chemin des Dames où eut lieu jadis l’un des épisodes de la Grande Boucherie de la guerre 14-18. Le serial-killer d’apiculteurs a-t-il à voir avec une autre guerre plus récente : la guerre d’Algérie ? La piste des agriculteurs cultivant le colza est-elle une piste sérieuse ?
Rien ne se passe évidemment comme prévu dans ce beau roman que l’on pourrait qualifier d’animalier tant la présence des abeilles est permanente : dans le paysage, dans l’économie domestique, dans les leçons sur la vie des abeilles, et même comme arme des crimes. Un roman qui entretient une belle technique d’écrire : le glissement de séquences de dialogues vers des réflexions plus intérieures et retour aux dialogues. Un bourdonnement en quelque sorte fort dense, mais qui reste à distance du lecteur, protégé par son activité littéraire.
Le massacre des faux-bourdons est le quatrième roman noir relatant une aventure du lieutenant Thierry Sauvage.
DULLA
L’hexamètre de Quintilien
L’hexamètre de Quintilien est une suite de sept questions que se posent les journalistes d’investigation : qui ? quoi ? où ? quand ? comment ? combien ? pourquoi ? Il est aussi le titre de ce nouveau roman d’Élisa Vix dont le personnage principal s’appelle Lucie, journaliste free lance. Lucie s’appuie sur cette technique de base pour tenter de comprendre la présence inerte du petit Yanis, six mois, dans un sac poubelle au pied de l’immeuble où elle habite.
Dans cet immeuble résident aussi en locataires Leila, la mère de Yanis et la petite Sarah, cinq ans ; le beau Marco qui dirige un Apple Store ; un médecin, Pierre, le propriétaire de l’immeuble, et son fils Kevin, adolescent mal dans sa peau se réfugiant dans les jeux vidéo à la mort de sa mère.
La commissaire de police chargée de l’enquête, une femme aux dimensions d’une armoire à glace, porte un nom improbable : Beethoven. La symphonie qui est jouée est structurée par une succession de solistes qui ont pour noms : Lucie, Marco, Pierre, Kevin. Chaque personnage, impacté par l’événement dramatique, prend la parole à tour de rôle pour dire les liens les unissant : des relations de voisinage, mais aussi des liens plus personnels, voire plus intimes. Au fur et à mesure du récit le lecteur découvre la vie de chacun, dans sa profondeur, ses tumultes et ses joies.
Élisa Vix, en des pages fascinantes, décrit avec force et justesse la fragilité des êtres dans une société complexe, emportés par des situations qui les dépassent, et où chacun tente de trouver des appuis auprès des autres. Solidarité, amour, tendresse, envie de vivre portent paradoxalement leurs contraires ; et en parcourant cette fresque du roman social le lecteur découvre comment les événements s’enchaînent de manière terrifiante, comme si la responsabilité des hommes était toute relative.
DULLA
Ubac
S’il est un roman où le lecteur frissonne de bout en bout c’est bien Ubac. L’ubac dans les Alpes est le versant des montagnes qui bénéficie le moins d’exposition au soleil. Autrement dit, l’ubac est le versant le plus obscur, le plus sombre. Et c’est bien dans une sombre histoire où nous entraîne Élisa Vix, précisément dans un lieu a priori souriant nommé Val Plaisir près de Modane.
Estelle, enfant de la DDASS, vit maintenant une vie tranquille auprès de son délicieux mari, Jérémy, qui tient un bar-bowling dans la cité de sports d’hiver, et de leur petite Lilas. Mais un jour arrive, surgie de nulle part, mais en fait de New York, la sœur jumelle de Jérémy, Nadia. Et c’est bientôt l’enfer pour Estelle, car Nadia et Jérémy vivent une manière d’attraction fusionnelle. Enfer, car c’est l’effroi permanent dans le cœur d’Estelle, qu’il arrive quelque chose à la petite Lilas encore bébé.
Et il y a Fabien, le frère de la pharmacienne, Claudine, ancienne patronne d’Estelle, devenue son amie, Fabien qui se passionne pour les loups qu’il voit dans la montagne, Fabien qui tombe amoureux d’Estelle, Fabien qui contribuera à supprimer l’angoisse d’Estelle, en lui faisant connaître un lieu dangereux nommé la combe.
Ubac est un formidable thriller sans policier, ni privé, où le suspense coud de bout en bout les chapitres du livre, installant un univers familial tendre bouleversé brutalement par une présence maléfique. Et le lecteur de se questionner : que peuvent les louves en ces temps de métamorphose ?
DULLA
La nuit de l’accident
La nuit de l’accident est un roman noir au cœur du terroir.
Dans le sud du Cantal, par un temps exécrable, une Golf roulant à tombeau ouvert quitte la route et s’écrase dans un torrent. Début du roman. La scène se passe non loin de la ferme de Pierre Rouzié, roc solitaire qui se considère comme un homme médiocre, passionnément attaché à la terre de ses ancêtres, et notamment Joseph tué lors de la Grande Guerre.
Pierre pourtant ne reste pas seul puisque la jolie vétérinaire, Nat, dont le patron est une sorte de pervers, s’installe bientôt à la ferme. Et quand un campeur plante sa tente dans un pré s’installe alors une atmosphère angoissante nourrie des agissements hostiles d’un étrange motard, de la sourde détermination du fermier face à l’administration sanitaire, du délire d’un vieil homme voyant en Nat à la chevelure rousse une figure du diable, et des visites récurrentes de Marius le gendarme qui connaît Pierre depuis l’école.
Puis le lecteur croise Momo, un adolescent de banlieue venu à la campagne avec son éducateur ; Momo qui se prend d’amitié pour le fermier et lui donne quelques atouts qui lui feront comprendre qui est le campeur, un danger pour Pierre qui se trouvait près du Célé, rivière rapide, la nuit de l’accident.
Élisa Vix monte son roman aux accents frissonnants en titrant les chapitres des noms de « Pierre » et « Nat », une technique qu’elle reprendra dans d’autres romans, noirs ou sociaux. Le récit est donc raconté en alternance par l’un ou par l’autre, ce qui colore l’histoire de sensibilités différentes et fait de La nuit de l’accident, un livre magnifique.
DULLA
Elle le gibier
Elle le gibier, le dernier roman d’Élisa Vix sort des sentiers battus où la romancière aime entraîner ses lecteurs. Ici nous sommes précipités dans le monde « dur » du travail, un univers impitoyable. Chrystal, ingénieure salariée d’une entreprise prestataire de laboratoires pharmaceutiques nommée Medecines, a disparu. Chaque chapitre du livre a pour titre un prénom, celui d’une personne qui a connu Chrystal. Elle dit ce qu’elle connaît de la ravissante et brillante chercheuse dont l’avenir paraissait tout tracé : métier passionnant, reconnaissance scientifique et les honneurs qui vont avec.
Ces personnes sont des collègues de travail, des amis d’enfance, un amant, sa mère. Toutes contribuent à offrir à l’enquêteur (journaliste ? romancier ?) des facettes de la personnalité de la jeune femme. En même temps, elles s’interrogent sur leur part de responsabilité dans la mécanique inéluctable conduisant à la scène finale, dramatique et si pleine de justesse. Car comment réagir humainement lorsque le monde du travail broie inexorablement les travailleurs ?
« Aujourd’hui, les profits se font contre les salaires » dit l’un des protagonistes de ce roman social noir. Comment imposer aux directions des ressources humaines assez de pouvoir pour que cesse le harcèlement et que surgisse un monde de respect ? Par petites touches le lecteur écoute ces voix et découvre le monde pervers de l’entreprise où les gens ne comptent pas, mais décident parfois que « ça suffit ».
Elle le gibier a reçu le très beau prix Jean Amila-Meckert en 2020.
DULLA