En retard pour la guerre = Ultimatum
En retard pour la guerre est le titre du roman. Ultimatum, celui du film.
Le premier chapitre est le souvenir de Constance Kahn, enfant quand elle allait chez son oncle et sa tante et notamment quand sa mère attendait un autre enfant. Souvenirs douloureux…
Plus tard, Constance est Connie, la jeune française résidant en Israël pour travailler son mémoire de maitrise sur La guerre des Juifs de Flavius Josèphe. C’est la nouvelle année 1991. C’est aussi le mois de janvier avec la date de l’ultimatum quant à l’intervention Tempête du désert pour faire la guerre à Saddam Hussein.
Constance vit avec Nathanaël, un jeune artiste peintre qui fait l’agent de sécurité pour gagner un peu de quoi vivre. Il y a dans leur environnement immédiat Tamar (qui est enceinte) et Gil, son compagnon, la voisine, Anastasia Finger-Mayer qui a vécu une vie étonnante à Berlin, jadis et qui reste une belle femme altière, si altière. Il y a aussi Monsieur Herzl, l’épicier à qui le couple doit plusieurs mois d’argent.
Et puis, comme personnes principaux, il y a aussi les voix de la radio avec les débats sur les sujets liés à la guerre, celui sur les masques spéciaux notamment. Où l’on voit que les rouleaux de nylon et les serpillères mouillées jouent un rôle étonnant au milieu des armes sophistiquées. Les familles qui vivent hors d’Israël et qui abjurent leurs enfants de revenir au pays, les personnes aussi qui perdent la boule. Peut-être aussi l’absence, l’absence à soi-même de Connie, étrange sensation d’une jeune fille décidée, mais « hésitante, gauche et faible » qui avance avec comme protection des choix tragiques et irrationnels en apparence de Flavius Josèphe et la protection des livres dans la bibliothèque de l’Université et sa voix intérieure, les questions à poser et qui ne sont pas posées et les réflexions à faire et qui ne sont pas faites.
DULLA
Jacob, Jacob
Avec Jacob, Jacob Valérie Zénatti a écrit un roman puissant, ouvrage qui a obtenu cette année 2015 le Prix du Livre Inter, prix populaire s’il en est.
Jacob, le plus jeune fils et frère d’une famille juive de Constantine, en Algérie, va partir le lendemain à l’armée. Les classes, puis immédiatement après les combats, puisque l’action se passe en 1944. Jacob possède un caractère ouvert, engageant, délicat. Il a l’âme poétique et ne peut vivre sans la musique. Autour de lui, dans la famille, sa mère Rachel, son père Haïm, son frère Abraham, sa belle-sœur, Madeleine, souffre-douleur de la famille, que Jacob tente de protéger, et les nièces et neveu. Une famille pétrie de traditions et qui vit dans une atmosphère de fierté et de dureté.
Jacob fera le débarquement de Provence dans l’armée de Lattre de Tassigny, et continuera jusqu’en Alsace où il sera tué au combat. Retour à Constantine où on apprend les massacres de Sétif et de Guelma. La vie continue son cours, fragile, tendue, incertaine. 1948, arrivée du cercueil de Jacob dont le nom s’inscrit dans la mémoire de tous les membres de la famille. 1956, Gabriel, le neveu, est impliqué dans la tuerie d’un village. 1961, départ des derniers membres de la famille pour la France. Le nom de Jacob, Jacob à la mine rieuse, continuera de vivre à travers l’arrière-petite fille de Rachel.
Jacob, Jacob est constitué de longues phrases marquant une tension ou au contraire une certaine volupté, mais c’est surtout la douleur des temps et l’imperfection des êtres qui étreignent les cœurs et celui du lecteur, la langue commune, l’arabe, ne se révélant pas fil conducteur assez solide pour faire lien. « Jacob, Jacob » est le livre de toute la faiblesse humaine…dont il serait bon, un jour, d’en faire l’économie.
DULLA
Les âmes sœurs
Le roman commence par le récit à la première personne du singulier d’une jeune femme Lila éprise d’un jeune homme Malik, enseignant dans un lycée, dont elle a besoin de parler à quelqu’un. Le chapitre suivant, un narrateur fait découvrir au lecteur un autre jeune femme, Emmanuelle dont on apprend très vite qu’elle est mariée à Elias avec lequel elle a trois enfants. Le livre est construit en alternance de chapitres entre la parole et les mots de Lila et celle et ceux d’Emmanuelle. Et l’histoire d’Emmanuelle est telle qu’elle a besoin de prendre comme point d’appui celle de Lila qu’elle est en train de lire. En effet Emmanuelle lit un récit, celui d’une photographe, Lila Kovner, reporter de guerre, notamment dans les Balkans. Emmanuelle s’efforce de faire corps avec le livre lu et pour cela il lui faut s’arracher au quotidien devenu insatisfaisant au fil du temps. Eviter ce qui ferait « la décharge publique d’une vie ». Se fondre dans la vie d’une autre pour mieux se retrouver peut-être.
Ne racontons pas le livre qui avance progressivement en libérant des situations surprenantes d’invention. Disons simplement qu’Emmanuelle va avoir la force de se donner une journée à soi et que cette journée se terminera sur un final étonnant : le retour à une vie apaisée grâce à une proximité objective d’Emmanuelle et de Lila. Nous n’en dirons pas plus.
Les belles phrases fluides, évidentes, collants à la vie et aux choses du style de VZ. Et toujours cet art du dialogue découvert dans les autres romans.
DULLA
Mariage blanc
L’histoire se passe en France. Antoine et Rachida s’aiment. Pour aider une jeune Russe à obtenir le renouvellement de son titre de séjour, Antoine accepte de se marier avec elle, de faire un mariage blanc. Une façon pour le couple, Antoine et Rachida, de « faire de la résistance ». Et puis, comme le dit Rachida, « ça protège tellement de se sentir vivre dans une fiction ».
Mais il y a aussi Pauline, la jeune femme fascinée par Rachida et en même temps forcément un peu jalouse, qui est toujours présente dans l’environnement immédiat du couple. Mais il y a aussi l’homme sans papiers qui va se retrouver au bras de Rachida. Pour de faux ou pour de vrai ? Les événements vont s’organiser d’une manière impromptue où une sorte d’ordre logique va épouser le désordre des émotions.
Cette brillante comédie est construite à plusieurs voix. C’est-à-dire que chaque chapitre nommé du nom d’un protagoniste, « Pauline », « Antoine », « Rachida », « Tatiana », etc., installe un nouveau narrateur. L’histoire se déploie ainsi, dans des lieux divers, et même parfois devant des ordinateurs. Les échanges de courriels succèdent aux monologues intérieurs et aux dialogues savoureux, ce qui donne à la lecture beaucoup de vivacité et de couleurs aux situations.
Valérie Zénatti a réussi un beau roman très subtilement mené. La générosité des êtres laisse ouverte la part de hasard que la vie abandonne au fil des actes des uns et des autres. Où le lecteur voit bien que l’histoire des gens n’est jamais tout à fait écrite. Il suffit de la vivre, tout simplement.
DULLA
Mensonges
Au début du livre un homme parle. Il dit qu’il est né en 1932 à Czernowitz dans une famille juive assimilée. Pour qui connaît la vie d’Aharon Appelfeld, l’un des plus grands écrivains israéliens vivants, on se persuade qu’il s’agit de lui. Mais assez rapidement, il est écrit : « Je ne m’appelle pas Aharon Appelfeld » et ce dont on parle n’est pas arrivé au narrateur dont on découvre bientôt qu’il est une narratrice.
Celle qui parle est celle qui écrit. Quelques dates font chapitres : Nice, 1979 ; Beer-Sheva, 1985, Auschwitz, janvier 1994, Paris 2002, Jérusalem, 2004, maison d’Anna Tikho, la peintre. Des premières lectures (Un sac de billes, Le journal d’Anne Frank) à Holocauste, vue à l’émission « Les dossiers de l’écran », la narratrice éprouve sa sensibilité à la question juive. Mais elle est troublée aussi par son origine de juive sépharade, c’est-à-dire, d’origine orientale. Comment vivre la difficulté ? En s’inventant une histoire. Par exemple, être juive ashkenaze française, au détriment de l’ascendance sépharade. Des petits mensonges qui se fondent dans l’écriture sans autre procès, la vérité des choses étant ailleurs. A Auschwitz par exemple, où la jeune narratrice fait un voyage de mémoire avec des députés européens dont Simone Veil qui marche, seule, devant.
Alors surgit en filigrane cette autre question du philosophe allemand Adorno : comment peut-on écrire après Auschwitz ? Eh bien, Valérie Zénatti répond à sa manière. Elle clôt le livre par une sorte de conte où une petite fille traîne un saut dans la forêt des Carpates, suivie par les loups. Un jeune homme, Erwin, la soustrait aux loups et aux chasseurs qui tirent sur les enfants, car « les enfants sont une menace pour l’humanité », dit le chef de la meute. Et lorsque les deux enfants trouvent sur le corps d’un autre enfant tué par les chasseurs La chanson de l’agneau, alors l’une et l’autre savent désormais que la mort n’existe pas. Tout est affaire de mentir vrai qui sauve et sauve. Vérité de l’écriture. Mensonge de la vie.
DULLA
Une bouteille dans la mer de Gaza
Tal (Rosée du Matin) est une jeune lycéenne israélienne vivant à Jérusalem qui se posent des questions sur sa vie dans ce pays tourmenté par la tragédie palestinienne. Mais pour ne pas effrayer ses proches, elle écrit. Elle écrit même un message qu’elle place dans une bouteille et qu’elle confie à son frère Eytan, militaire à Gaza. Le message est trouvé par un jeune Palestinien qui parle hébreu (le lecteur apprendra pourquoi un peu plus loin dans le roman).
Il s’ensuit un dialogue par courriels entre « Gazaman » et «Bakbouk ». Peu à peu, ils apprennent à se connaître, à se confier, à se donner. Tal et Naïm (puisque c’est le nom de « Gazaman ») s’aperçoivent combien ils tiennent l’un à l’autre, et par-delà la différence de perception des événements (les actions terroristes ou de résistance, la vie sous occupation et l’arsenal sécuritaire), chacun a soif de liberté, d’autonomie et de paix.
Valérie Zénatti introduit une technique d’écriture qu’elle reprendra dans Mariage blanc avec une autre perspective. Le roman par correspondance façon courriels et monologue intérieur. Choix judicieux tant il est vrai que les deux jeunes gens sont vraiment séparés physiquement et qu’il est hors de question qu’ils puissent se rencontrer dans un premier temps. Technique qui épouse parfaitement la situation personnelle, sociale et politique, mariant la solitude derrière l’écran à l’espoir substantiel de se rapprocher de quelqu’un d’éloigné. Le lecteur, lui, est en pleine connivence avec l’un et l’autre, et circule sans cheik point entre Gaza et Jérusalem. Fiction ou réalité de demain pour Tal et Naïm ? Autrement dit, se rencontreront-ils un jour ?
DULLA
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