Sur l’oeuvre de Patrick Lapeyre (2016)

 La lenteur de l’avenir

Alex est boxeur ; un boxeur prometteur, plutôt taiseux. Sa parole est rare, même pour sa compagne, Muriel, licenciée en histoire, mais travaillant dans une banque. Boxeur, une activité qui, pour la mère de Muriel, n’est pas un métier.

Alex part en Suisse préparer un combat. Muriel le rejoint assister au combat, à la prouesse meurtrie de son aimé. Ne lui a-t-elle pas dit un jour d’inquiétude : « J’aimerais qu’on se parle toute notre vie » ? Alex et Muriel se marient. Il le voulait. Elle est d’accord. Puis, c’est la promesse d’un combat à Naples organisé par le frère d’Alex. Dans l’attente, « elle est en train de s’éteindre ». Peut-on vivre sans le souci du regard des autres, se demande Muriel ?

La lenteur de l’avenir est un beau roman étrange. Une sorte de silence baigne l’atmosphère, une tranquillité proche de l’évanescence ouvrant sur un sentiment double : une grande légèreté et une pesanteur indicible. Mais la vie qui transporte et emporte le destin des femmes et des hommes, n’est pas cela ? Et cela n’est-il pas une chance ?

DULLA

 

La splendeur dans l’herbe

 Au commencement, il y a la rencontre d’un homme, Homer, et d’une femme, Sybil, étonnés « d’être sorti(s) vivant(s) d’une telle épreuve ». Leurs conjoints respectifs les ont quittés et ils ont éprouvé le besoin de se voir et de se connaitre.

Le lecteur de ce beau roman accompagne les deux personnages aux tempéraments pleins de retenue dans les suites de la mésaventure, mais aussi dans les épreuves du lointain passé, celui de l’enfance, surtout du côté d’Homer. Le roman est construit en effet par séquences rétrospectives de la vie d’Homer avec ses parents ponctuant les temps de rencontre entre ceux qui pourraient former un nouveau couple.

Où l’on comprend comment s’est affirmé le caractère de ce cadre de chez Daimler, le besoin de « toujours faire le choix du pire » qui le hante et le pétrifie. Où l’on comprend pourquoi la pondération de Sybil est une réserve d’indépendance nécessaire à sa liberté. Elle, l’hypersensible.

Dans un monde plongé dans une agitation permanente, le réconfort vient sans doute du silence. Le silence qui protège et permet la relation sincère, vivante, avec soi et les autres. Le silence, autre « personnage » du roman.

DULLA

 

La vie est brève et le désir sans fin

Louis Blériot est traducteur free lance, amateur de la musique de Massenet. Un homme, décrit par le narrateur, qui « a l’habitude de penser lentement – si lentement qu’il est en général le dernier à comprendre ce qui se passe dans sa propre vie ».

Blériot est un candide, une personne disponible pour les autres, capable aussi de s’abstraire de son environnement pour vivre où son imaginaire l’entraine.

Blériot est un contemplatif, qui a du mal à voir ce qui n’a pas fonctionné dans le couple qu’il forme avec Sabine, sa femme, commissaire d’exposition. Mais il y a Nora, la belle Anglaise, séparée de Murphy, Nora qui vit chez sa cousine Barbara sur les hauteurs des Lilas, Nora qui travaille dans un hôtel à Roissy CDG pour payer ses cours de théâtre. Nora qui va rencontrer Blériot.

Quand passe-t-on de l’autre côté du miroir ? Comment le souvenir arrive-t-il à purifier les moments de la vie, à les débarrasser du chagrin et de la peur ? C’est ce que le lecteur apprend au fil de la lecture, sans perdre de vue que la vraie vie est pourtant là, irrémédiable dans cette difficulté qu’ont les hommes et les femmes à vivre sereinement.

DULLA

  • Le livre a reçu le Prix Femina 2010

 

Le corps inflammable

 Le corps inflammable est le premier roman de Patrick Lapeyre. Un homme, appelé P. est engagé par un metteur en scène pour jouer le rôle de Perceval dans un film dont il ne sait ni les tenants ni les aboutissants.

À Londres, il est employé de banque et connait une femme, Martine Cohen. Mais il voudrait que la mort le fauche et que son corps devienne une fontaine. Reste un mystère : la disparition de bobines du film pas vraiment tourné, bobines que plusieurs personnes cherchent à récupérer. P. se retrouve au centre (ou à la périphérie) de sombres intrigues, voisin de quelque meurtre et cible d’un agent du contre-espionnage.

Le lecteur circule beaucoup dans ce roman. Un voyage peut-être déterminé par les prises d’éther, de LSD 25 ou de cannabis, de P., figure transparente de Pierre à la recherche d’une nudité sans corps, chute dans le miroir permettant de donner sens à une vie tourmentée proprement absurde.

Le corps inflammable est une histoire policière au sens où elle offre au lecteur l’occasion de se regarder dans un miroir brisé et d’accepter le défi de se reconstituer par-delà les mots. Policer sa vie afin de voir clairement de quoi les rôles sociaux ou existentiels sont faits.

DULLA

 

L’homme-sœur

 Il s’appelle Cooper, le personnage principal de ce roman. Plus loin dans l’histoire, le lecteur saura qu’il possède un prénom. Mais pour tous et pour lui-même, c’est Cooper. Il possède un emploi – chargé d’études dans une banque parisienne, mais son comportement est perçu comme caractériel, ce qui le place dans un isolement certain.

Cooper attend sa sœur, Louise qui vit à Vancouver, au Canada. Une femme qui possède une capacité naturelle à faire basculer les hommes qui s’approchent d’elle dans la souffrance et la poésie. Louise reste loin de Cooper, à Philadelphie où elle a trouvé un emploi de photographe et d’où elle lui envoie, quelquefois, des lettres signées « La Mélancolie du Pacifique ».

Cooper attend sa sœur et cette absence est l’événement permanent qui scande la vie de l’employé de banque. Ni la rencontre avec une ancienne amie, ni la fréquentation de quelques autres femmes, ni le souvenir de sa mère n’entravent une dérive obsessionnelle vers des pratiques compulsives comme celle de prendre plusieurs bains par jour pour se purifier.

Et puis arrive Robine, une amie de Louise, qui arrive en France pour étudier… et qui repartira bientôt pour Boston. Cooper avance lentement, mais sûrement vers une forme de neurasthénie où son indécision suspend le passage à l’acte dans toute situation où il se trouve.

Ce comportement étrange le précipite socialement dans une sorte de vide, hors de tout, à commencer hors de soi-même. Médocs et alcool sont un cocktail détonnant qui précipite Cooper vers une issue tragique.

C’est alors que sa sœur, Louise, arrive à Paris.

L’homme-sœur est un roman de l’étrangeté où se posent, se déposent, se reposent les questions du sens de la vie, de l’absurdité des comportements, de la vacuité des relations humaines. Au milieu de ce rien, se maintient la trace des immaturités incompatibles entre des êtres de chair et d’âme.

DULLA

  • Le livre a reçu le Prix du Livre Inter 2004

 

Ludo & Compagnie

Samy et Ludo, cinq ans d’études du chinois, rencontrent Catherine et « la Hollandaise » qui font de la randonnée. Rapidement les trois premiers se retrouvent à continuer leur route vers Turin.

Catherine dont le comportement est un mélange de fausse ingénuité et de patience, est décidée à garder l’initiative dans les projets du groupe. Par exemple continuer vers Rimini où aura lieu « l’événement », puis pousser jusqu’à Naples… jusqu’au moment où Catherine quitte ses deux compagnons.

Retour de Ludo dans le Loiret où Catherine le rejoint. Petits boulots de Ludo dont celui de réceptionniste dans un hôtel, travail qu’il prend très au sérieux. Samy, lui, revient en Italie après un séjour à Paris. Pour une excursion en montagne avec ses amis ? Peut-être. Mais rien n’est moins sûr.

Ludo & Compagnie est le roman de la solitude joyeuse, perçu d’un point de vue caustique, d’un doux cynisme.

DULLA

 

Sissy, c’est moi

 Sissy, c’est moi est un drôle de livre. Le portrait d’une jeune fille en de multiples postures, des plus réalistes aux plus fantasques. Une fille ronde, dirions-nous aujourd’hui, qui choisit de vivre des moments étonnants à l’initiative de son bon sens ou des rêves les plus osés, voire torrides. Parfois Sissy est plutôt le jouet des circonstances.

Cette suite de situations qui emportent le sourire et une certaine causticité est une manière de blasonner, de se moquer en toute gentillesse, de conduites et de rôles que l’éditeur du livre propose comme une allégorie. Allégorie de quoi, peut-on s’interroger ?

Eh bien, plusieurs réponses possibles ! En voici une : de la tendresse à vivre en société ou le ravissement du regard.

DULLA

 

Welcome to Paris

 Turgot est chauffeur de taxi. Il vit avec Sarah, une infirmière qui a eu d’un autre lit des jumelles dont l’espièglerie est le caractère premier.

De par sa profession, Turgot est attentif, vigilant, accueillant et ouvert aux comportements les plus ordinaires de ses clients comme des plus originaux, voire extravagants et même excentriques. Cette disponibilité, Turgot accepte de la pousser très loin lorsqu’un couple d’Américains, Eva et John, décide impérieusement, mais de façon ludique, d’en faire quasiment leur chauffeur attitré.

Turgot participe donc aux réceptions du couple, à leurs escapades artistiques, devenant aussi le confident de personnages interlopes de leur entourage. Des situations qui obligent cet aimable candide à jouer serré s’il veut conserver l’amour de sa compagne.

L’une des multiples qualités de Welcome à Paris est l’invention narrative où sont créées des perspectives dues au double regard invitant le lecteur à s’investir dans le récit. Regard de Turgot qui attend, assis dans son taxi ou debout parmi les gens, er regard du narrateur sur les faits et gestes de Turgot. Où le lecteur devient une entité du roman sans pour autant devenir intrusif.

DULLA

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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