Cheyenn
Cheyenn, Sha H’yenn en algonquin (peuple du Québec et de l’Ontario), signifie peuple à la langue étrangère. Dans le roman, il s’agit d’un homme, sans domicile fixe (sdf) qui a été trouvé assassiné. Un reporter cinéaste l’avait précédemment filmé lors d’un sujet qui laisse voir dans son expression de défi qu’il veut traverser sa peur. Le reporter (le narrateur qui parle à la première personne du singulier) veut refaire un second film réparateur, mais pas « un fait de société » comme le souhaite son rédacteur en chef.
À la recherche du parcours d’errance de Cheyenn et de son grand sac où il rassemblait des objets hétéroclites, des choses les plus diverses, le cinéaste (et le lecteur par la même occasion) va faire connaissance avec son compagnon de misère, Vania Lukakowski, des Skins qui l’ont connu, et Mauda Mancini, la femme qui avait eu une histoire avec celui qui s’appelait encore Samuel. Une belle histoire, tragique au final comme la plupart des histoires d’amour.
La progression dans la connaissance de Cheyenn révèle un parcours de vie d’une grande pureté dans la fidélité aux idéaux symbolisés par le monde amérindien. Une fidélité qui fait peur tant le chaotique, le spectaculaire et le barbare sont devenus des modes de vie ordinaires. C’est Mauda Mancini qui, peu à peu, découvre l’intense vie spirituelle de Cheyenn, de son savoir des peuples natifs, ceux qui vivent en harmonie avec la nature et l’univers. Mauda Mancini qui prend peur elle aussi lors d’un événement très personnel.
Comment sauver ce monde étrange porté par Cheyenn ? Autrement dit, pour le cinéaste, quel film faire qui soit dans le respect de l’étrange singularité d’un homme possédé par une mission ?
Par la grâce de ce beau roman courent une volonté et un désir de rendre justice à ce qui est plus fort que la peur : l’approche de la vérité. Par l’entremise d’une caméra bien portée, en des mises en abyme audacieuses (les situations se retrouvent dans les scènes ou séquences successives), la vie sincère redevient la vertu la plus noble.
DULLA
Jours de tremblement
Ce sont huit jours et autant de nuits ces jours de tremblement que les passagers du Katarina, en croisière sur un fleuve africain, vont vivre dans une tension exacerbée au fil du temps et des événements.
Celui qui raconte cette histoire (à la première personne du singulier) est journaliste cameramen. (On connaitra son prénom assez tardivement au cours du roman). Un européen parti en reportage parmi d’autres européens qui, chacun, possèdent une bonne raison de circuler entre les rives d’un pays en proie à la misère et par conséquent à la violence.
Le Katarina est le lieu central où se déroule l’action, principalement le solarium et les coursives. Là se rencontrent un écrivain alcoolique revenu de tout, des parvenus de la pire espèce à l’esprit colonisateur, un couple étrange formé par un vieil homme passionné par la nature et d’une jeune femme qui le protège, un médecin qui sera souvent sollicité et sa mère, insupportable, deux italiennes et un enfant, un jeune homme noir, Louis, seul, qui parle le français et la langue des personnages nouveaux venus sur le luxueux bateau. Louis, comme le frère de compagnonnage du narrateur.
Ce qui se joue sur le bateau et le long des rives du fleuve est une partie à plusieurs enjeux : un rapport de force entre des rebelles noirs et le gouvernement du pays africain (pays fictif) ; une critique de la colonisation et des murs dressés entre les riches et les pauvres ; la jonction possible entre hommes de bonne volonté (le vieux scientifique et le leader noir Elimane Ba) animés d’un humanisme universel ; l’amitié forgée au cœur des ténèbres ; l’amour qui passe par la mémoire des corps, mais pas seulement, contre la vulgarité et la médiocrité des gens cyniques qui ne mènent qu’à la mort et au déshonneur.
Jours de tremblement est un roman sans autres images que celles du lecteur qui avance dans les pas du cameramen, celui-ci ayant décrété que celles filmées sont « inutilisables ». Le lecteur devient donc le témoin d’une histoire d’aujourd’hui, à la croisée de la terrible réalité et des lendemains qui peuvent chanter… ou déchanter.
DULLA
La leçon de chant
Un vieux professeur de chant – le narrateur ; il s’exprime à la première personne du singulier – parle d’une femme, Clara, à qui il a confié de chanter Nacht und Traümer (Nuit et rêves, en allemand), un lied (une mélodie populaire) resté inachevé par son compositeur, Franz Schubert. Il parle de cette femme mystérieuse, d’abord à travers la parole d’un peintre, Pierre, qui a noué une relation intime et complexe avec Clara, et ensuite par sa connaissance directe de Clara, hantée par son désir de trouver sa voix.
La grande fragilité de Clara Mangetti est liée à son histoire, une histoire où la mère, chanteuse de cabaret à Bahia Blanca, en Argentine et la sœur, Milena, emportée par sa folle détermination restent omniprésentes dans sa vie, sa pensée, ses émotions. La désolation de son enfance perturbe sa tentative de vivre et sa volonté de protéger ceux qu’elle aime jusqu’au moment où le destin (appelons-le ainsi) participe à la résolution des équations, des énigmes. La quête tourmentée de Clara éclate dans une lumière bienheureuse où chaque personne trouve sa place naturelle dans le réseau des parentés et des amitiés.
La leçon de chant est un livre poignant, dénouant des vérités sur les rapports entre les femmes, entre les hommes et les femmes, entre soi et soi. « Seuls les errants, les éprouvés, les enfants, ont encore un regard qui me touche » dit le vieux professeur de chant dont la patiente lucidité accueille, en un final surprenant, une révélation bouleversante sur le sens de sa vie.
L’auteur du livre, François Emmanuel, dit rendre hommage à Ismène, la sœur d’Antigone, les filles d’Œdipe et de Jocaste (personnages de la tragédie grecque). Ismène qui accepte les résolutions de sa sœur, de combattre leur oncle, le roi Créon, représentant de l’Etat, et reste lier à celle-ci à jamais. Un livre sur la fidélité, la clairvoyance et l’éclat de la voix, porteuse du souffle de la vie.
DULLA
La passion Savinsen
Un château est réquisitionné par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale, à Norhogne, dans les Ardennes. Sur la voiture du commandant allemand flotte un fanion à l’emblème nazi. Les habitants du château pourront rester dans des espaces convenus et les soldats occupants circulent de manière très civile au sein de la propriété.
Jeanne de Morlaix, fille de Jacques et Millie de Morlaix, lui, prisonnier dans un Oflag (un camp), et elle, décédée huit ans plus tôt, vit avec son grand-père maternel, Tobias Savinsen, délirant sur les bateaux, et sa sœur Camille. Du personnel de maison reste présent, Louise, Ange qui écoute Radio Londres, Geninio.
Au commencement de la réquisition, il y a une résistance de la part des habitants du château. Et puis se mêle la découverte dans le grenier des lettres à Millie du docteur Kalinski, son amant et le désir de Jeanne d’en connaître plus sur la relation de sa mère avec Kalinski. Découverte de l’amour entre ces deux êtres qui reflète étrangement le désir de Jeanne pour le commandant de la compagnie, très délicat, très policé, prénommé Matthäus.
De ce double mouvement nait une tragédie, la tragédie du savoir. Savoir qui est Samuel Kalinski qui conduira Matthäus Hiele aux portes de la mort.
La passion Savinsen est un roman d’amour dans un contexte historique où les êtres humains sont emportés par leurs passions et les forces sociales qui le dépassent. Peut-on alors maîtriser sa vie ?
DULLA
La question humaine
Le livre est donné comme un récit. Ceci dit, le lecteur n’est pas obligé de croire l’auteur qui transmet le récit à la première personne du singulier, impliquant ainsi le lecteur dans une histoire dangereuse.
Un psychologue (le narrateur) est engagé par une multinationale (SC Farb que l’on rapprochera de IG Farben) pour sélectionner le personnel et organiser des séminaires sur la question humaine au service de la culture d’entreprise. Il est amené à enquêter sur son directeur qui, peu à peu, sombre dans une sorte de folie. Une suite de documents reçus forme un puzzle dont les pièces sont à réunir.
Où l’on voit alors les destins des hommes marqués par l’innommable, l’insensé, du peu de cas que l’on fait de l’humain, de l’humanité, de chaque être traversé par l’enfer de la mémoire quand les pères ont été des nazis, par exemple.
Où l’on voit également comment les relations dans l’entreprise épousent les formes de sélection inventées entre 1942 et 1945, métaphore terrible et terrifiante de la vie d’aujourd’hui. Une théorie de mots abominables surgit qui a conquis un droit d’être employés dans la vie quotidienne, sans contestation possible.
La question humaine est un récit-fable sur la violence mortifère des rapports sociaux ; Seules, les femmes paraissent habitées par une certaine humanité.
DULLA
Là – Bas
Le livre est né sous le signe du Sonnet 43 de William Shakespeare, la célébration de l’Autre dans l’espace du jour et de la nuit, des ombres et de la lumière. Il s’agit donc de l’expérience par les mots d’une rencontre amoureuse revécue dans le temps nouveau où les corps et les sentiments sont projetés, avec, pour elle, un avenir centré sur l’homme père de ses enfants et ses deux enfants, et pour lui, le désir de revenir capter l’image qui fut passion et beauté, fureur et douceur.
Comment le temps distille je me souviens pour dire l’intimité heureuse des retrouvailles, mais aussi le nécessaire retrait, en douceur, de ce souvenir, pour vivre ce que la vie continue de dire : que l’amour est silence et dépossession de soi.
C’est dans la maison de Nouans, la maison d’elle, la femme, que se passent ces retrouvailles.
Où l’auteur fait vivre dans le rythme des mots la vérité de l’existence : être dans l’au-delà de toute présence immédiate.
On pourrait imaginer une tension et une violence des sentiments dans cette rencontre imaginée par l’homme qui en a pris l’initiative. Mais elle a su lui transmettre « l’immense compassion du monde ».
La voix du texte est douceur. C’est le grand bonheur d’être empli de cela à la lecture de Là -Bas.
DULLA
Le sentiment du fleuve
Jérôme Mortensen hérite de son oncle d’un appartement avec le voisinage et la chatte Nephtys, mais aussi des suites des enquêtes en cours, car l’oncle Isaïe est détective privé. Tour à tour apparaissent les protagonistes de l’histoire que le lecteur peut considérer comme une fantaisie policière : Ursula, la chanteuse d’opéra férue de Faust, Maria Felicia Conception, la dame de compagnie, Besinger le notaire, les policiers, le concurrent de la Cie Andres et Vogt, Hieronymus et Carla Geishner.
Mais de quoi s’occupait exactement l’oncle Isaïe ? D’enquêtes, mais pour lui les enquêtes sont « des stratagèmes pour laisser la vérité en attente ». Car l’oncle possède une philosophie personnelle qui lui fait dire : « Car les fins sont dans les commencements, les ascensions dans les chutes, les disparitions dans les coups de foudre, et l’effort à comprendre revient toujours à notre ébahissement de vivre ».
Bien sûr, il y a des menaces, des morts et des mystères autour des agissements et des disparitions. Mais en accentuant les codes du roman policier, François Emmanuel offre au lecteur un grand moment de détente existentielle avec, comme dans pratiquement tous ses livres, les rêves des personnages qui sont des véritables clefs de la compréhension de ce que vivre veut dire dans un monde tourmenté. Comme toujours, les femmes ont les beaux rôles, superbes, intelligentes, humaines, quoi !
DULLA
Le tueur mélancolique
François Emmanuel sait aussi écrire des romans policiers. Le tueur mélancolique en est un avec ses codes de polar, son tueur à gages, son énigme, sa victime ciblée, la femme exquise, et les objets de l’assassinat. Et puis, une bonne dose d’humour. Mais il y a « un plus » dans ce polar : c’est un roman philosophique sur la vanité des hommes de s’approprier couplée à la passion d’aller au-delà du monde connu – on discernerait comme un vestige de spiritualité.
Un homme – celui qui raconte – est embauché comme secrétaire particulier dans une agence dont la marque de fabrique est « La discrétion est notre métier ». Au fil des jours sa mission évolue ; Leonard Gründ va devoir tuer un homme, surnommé L’Inca, qui circule entre plusieurs espaces, accompagné d’une jeune indienne, Chenga. Mais la rencontre entre les deux hommes modifie la manière de voir du détective. Et si victime il y a, vraie certitude, ce n’est pas celle qui était programmée.
Si nous devons ajouter quelques mots dans cette présentation, nous dirons seulement ceci : l’enjeu de l’assassinat est « un obscur enjeu de mémoire » obsédant des universitaires aux passions criminelles. Et aussi cela : quand les hommes deviennent pierres, le retour du vrai soleil annonce le change qui bannit l’orgueil et les trafics.
DULLA
Le vent dans la maison
François Emmanuel révèle en exergue que son roman Le vent dans la maison est un hommage à Antigone, symbole s’il en est de la lutte contre l’Etat. Or aujourd’hui, l’Etat, c’est l’état du monde, injuste et cruel où les puissants méprisent les pauvres et les purs.
Et Antigone, c’est Alice, une institutrice qui sera un temps enfermé en hôpital psychiatrique. Alice qui a traversé le miroir en se blessant terriblement et qui parait n’avoir confiance qu’en un seul être, un homme, Hugo, dont on apprendra qu’il est écrivain, même s’il est un temps agent consulaire dans un pays africain. C’est lui, Hugo, qui est le narrateur d’une histoire à plusieurs niveaux qui s’enchevêtrent. Hugo accompagne Alice pour aller au bout de quelque chose, lui qui exècre les renoncements du monde à devenir humain.
Sur le chemin, de belles figures, en Afrique, Shashana, la femme touareg qui sauvera Hugo enquêtant sur la mort de Bern Atirias tombé dans une embuscade, et en France, Sail Hanangeïlé, sans papier, magnifique danseur, expression de l’amour et de la passion chez Alice et chez Sara, la professeure de danse. Sur le chemin, à l’opposé extrême, les forces armées d’un Etat africain, Jacques Sengui, avocat tombeur de femmes, pilier d’un monde mensonger qu’Alice a connu et qui la révulse.
Quelques mots sur la forme du roman : il s’enlace comme une bougie torsadée dont la flamme brûle la laideur du monde et la folie qu’il a engendrée, signe d’une contestation brisée. La fin est heureuse et fait chaud au cœur.
DULLA
L’enlacement
Le titre, L’enlacement, est complété par un sous-titre : récit. Ce texte magnifique de 80 pages est donc de l’ordre du vécu travaillé par l’écriture, une mise en forme très spéciale dont le titre convient parfaitement puisque le récit en spirale se déroule et se reprend autour d’un axe figuré par le tableau d’Egon Schiele, peintre autrichien, L’enlacement.
Un récit, certes, mais comme le dit le narrateur, en réponse à la demande de la femme, Ana Carla Longhi, qui se sait n’ayant pas le don d’écriture : L’écriture est toujours un autre temps du réel. Le lecteur pourrait donc aussi bien être invité à lire une longue nouvelle ou un court roman.
Ah c’est vous sont les premiers mots du récit. Comme une tranquillité, une sûreté, presqu’une sérénité pour la femme qui est victime d’un éblouissement devant l’enlacement au Musée du Belvédère. Une expression qui reviendra de part en part, s’enroulant autour du drame vécu par Ana Carla Longhi lorsqu’elle avait 16 ans, un viol près de la piscine, et de la présence salvatrice du personnage qui dit « je », un écrivain venu faire des lectures à Vienne, puis à Paris, à l’Hôtel du Monde, pour elle, spécialement pour elle. Comme pour elle, il lui écrira un beau texte, un texte en miroir de la réalité vécue.
L’écriture comme une rédemption qui donne à croire encore à l’amour, à la confiance en l’homme quand on est une femme, à la force du souvenir comme protection savante contre la violence du monde masculin. Ah c’est vous.
DULLA
Portement de ma mère
Le titre porte en sous-titre Poèmes. 32 poèmes exactement en cette particularité qu’ils sont en prose et que les commencements (ce qu’on appelle en langue latine, les incipit) remplacent les titres et sont inscrits en italique (en corps penchés).
Le premier poème commence ainsi : Ma mère tu descends dans l’abîme des morts.
Le dernier, comme cela : Du lointain où je te regarde.
Entre le premier et le dernier, 30 poèmes qui célèbrent la mort de la mère, porteuse de la mort de l’enfant, plus tard, après qu’il se soit détaché d’elle et qu’il ait accompli sa vie d’homme ; 30 poèmes qui célèbrent l’amour de la mère, sa figure en pleine majesté (comme la Vierge dans une mandorle, ovale en forme d’amande), loin des rites et coutumes qui engendrent la colère pour qui ne transige pas avec la vérité d’aimer ; 30 poèmes qui soulignent combien la cérémonie ne laisse pas de voir la beauté de la mère aimée. Je buvais ton lait de lumière, écrit l’auteur dont on peut imaginer qu’il parle de sa propre mère, que son récit poétique est un moment intime de sa vraie vie, si l’on peut s’exprimer ainsi.
Au détour du chemin vers l’enlisement du corps, FrançoissEmmanuel avoue ceci : je n’ai pas pris le temps de contempler le temps, j’étais comme tant d’autres dans le trébuchement de vivre. L’aveu de la fragilité humaine sans laquelle l’humanité ne serait pas l’humanité, c’est-à-dire quelque chose de sacré.
Arrêtons-nous sur le titre, d’un vocabulaire de l’ordre du sacré, justement. Jusqu’alors il n’y avait de portement que de portement de la croix. L’écrivain invente le portement de ma mère.
Ce n’est pas rien, et ça fait penser à bien des choses, non ? Il y aurait-il du divin dans l’homme ? Lucidité ou vanité ?
Les Poèmes sont en réalité un poème sans point et sans point final. Un chemin de lumière dont les incipit sont les stations, un chemin de lumière sans fin
DULLA
Regarde la vague
Autant le dire tout de suite. La vague est celle qui a emporté le père, un archéologue passionné de pêche et qui n’a pas pu se dépêtrer de ses cuissardes (du moins, c’est ainsi qu’on imagine la situation). La vague est aussi celle qui emporta Pierrot, l’un des fils de Georges Fougeray et de Gabriela, la mère. La vague est encore celle qui emporte la destinée d’une famille rassemblée trois jours pour le remariage du frère ainé, Olivier, être complexe, soumis à des crises (de folie) et des lubies (la famille photographiée en une suite de sulkys), avant la vente de la maison familiale et l’éclatement des liens.
En quatre chapitres, la veille, le jour, la nuit, le lendemain, l’auteur organise son roman en faisant parler à la troisième personne du singulier chacun des personnages qui le compose, en forme de monologues intérieurs. Ce qu’on appelle monologue intérieur permet de décrire, de ressentir et de dialoguer tout en restant dans une certaine distance avec la réalité vécue par les uns et les autres. C’est l’ensemble des pensées et des observations de tous les personnages qui donnent alors vérité à la situation de ce genre romanesque appelé roman familial.
Le lecteur découvre d’abord Jivan, l’enfant indien adopté remplaçant Pierrot, mort, ensuite les sœurs, Grâce, Marina et Alexia et leurs enfants, notamment Ulysse, fasciné par l’Odyssée, ce qui est naturel, et Hyacinthe, celle qui ne parle pas, mais qui sourit parfois, silencieuse et muette. Hyacinthe (Hya) est au cœur des drames qui vont se jouer au fur et à mesure que l’on avance dans la fiction, dans le roman. Mais comme dans la réalité, un drame peut en cacher un autre, faire écran comme on dit aussi. Et cette nouvelle scène de la vie secrète pesant sur l’ensemble de la famille est inscrite dans le carnet du père dont plusieurs extraits nous sont donnés à lire pendant que la cérémonie du repas bat son plein.
Regarde la vague est un beau roman sur le déchirement de la famille bourgeoise et des promesses de vie lumineuse qui en résulte, nécessairement.
DULLA
Les murmurantes
Le dernier livre de François Emmanuel s’appelle Les Murmurantes, trois nouvelles dont la dernière donne son titre au livre.
La première, Amour déesse triste, relate sous forme de journal écrit sur une douzaine de jours la quête de la vérité, c’est-à-dire de la beauté, du mystère, de la lumière. Celle-ci est une personne remémorée et rêvée, à la fois pleine de vie (traces d’un premier voyage en Inde) et sur le chemin de l’éternité (objet du second voyage). Le voyageur circule à Cochin, Panjim, à la recherche de Joy Archer. La rencontre avec Vishram et Angha (Ange ?) est une véritable formation à la confiance, confiance symbolisée par le Salagram, cadeau d’adieu, confiance plus forte que la mort.
La seconde, La convocation, réunit deux hommes ayant connu la même femme. Le prétexte – l’achat à une vieille dame aveugle d’une esquisse pour une dormition de la Vierge attribuée à Filippo Lippi – est une manière très pudique d’associer le narrateur et l’expert dans le souvenir, la présence absence de L., L. dont le visage épouse les traits de la Vierge, L. qui disait : « Si je ne suis plus visitée je m’arrêterai ». La dormition, morte parfaite, est aussi le fruit de la visite de l’Ange annonciateur. La convocation est aussi la lettre qui revient par bribes, en fragments, dans la mémoire du narrateur, comme le double masculin d’une annonce concernant les vivants. Ou comment les morts aident les vivants à vivre.
Les Murmurantes est le titre d’un livre sur les femmes de sa vie de l’écrivain récemment décédé dans un accident de voiture, Elio Ventez. Quatre jours de la vie après la mort de celui qui est reconnu comme un immense écrivain où s’observent et se regardent le secrétaire particulier (le narrateur), la veuve, Maria Tarai, la fille, Xenia, Rosalia, la servante et les enfants de celle-ci, le critique littéraire Köhler prêt à tout pour obtenir des inédits. Que dire du dernier roman de Ventez La splendeur d’Esmeralda Lopez ? Que reste-t-il par-delà la mort ?
L’œuvre publiée ?
Un beau livre d’une légèreté inouïe pour écrire des choses essentielles.
DULLA