Sur l’oeuvre de Cathie Barreau (2018)

Cathie Barreau

On pourrait dire lorsque on lit Cathie Barreau, du Cathie Barreau, les livres de Cathie Barreau qu’au commencement il existe un secret morcelé, en morceaux, et que le défi qu’elle se donne est de rassembler les éclats, éclats de pierres précieuses, lumineuses ou sombres, et de les métamorphoser en mots, en langue, en langage, pour dire la vie, la vi-o-lence, la mort certainement, c’est-à-dire ce qui travaille chaque être humain, des êtres fragiles de l’humanité, ce bien commun à tous.

La construction d’une œuvre aux formes diverses : journal intime (Natalia Gontcharova), roman familial (Visite aux vivants), carnets de route d’un écrivain qui voyage et journal de recherche, sorte de composition littéraire d’un écrivain en résidence (Refuge sacré), roman par lettres (mails) enchevêtré dans d’autres écritures (Comment fait-on l’amour pendant la guerre ?), roman inqualifiable sinon saturé de sensualité (Ecoute s’il neige), poèmes qui unissent l’un et l’autre, l’homme et la femme, pour laisser se dégager un « nous » de grande liberté, où la discontinuité produite par la forme crée silence et repos.

Le thème de la mémoire, visité et revisité.

La protection tutélaire : les anges, Le Clézio, les musiciens sans doute, et quelques écrivains ou poètes.

Liberté et égalité femmes/hommes. Un court traité du désir, du plaisir et de l’amour par-delà les velléités de l’orgueil masculin. Contre les masculines rancœurs et la brutalité des hommes.

Guerre et paix. « Quand les hommes sauront faire l’amour, il n’y aura plus de guerre ».

Les lieux. Respect et invention pour que les lieux vivent et témoignent des traces des hommes.

La femme aveugle / Œdipe féminin ?

Douceur, mélancolie, sérénité, désir.

Voyager pour que la folie ne gagne pas.

La puissance de vivre = une aventure fictionnelle, la construction d’une langue qui soit l’alternative à la guerre.

« Que demander aux étoiles ? » toujours l’invention du secret, « le guide le plus averti ».

Les oiseaux, les libellules.

L’éternité : « Son regard me parlait d’éternité ». (L’homme des promenades).

L’éternité est le nom de quoi exactement ? La métaphore de quoi ?

DULLA

  

Refuge sacré

 Refuge sacré est un livre hybride composé d’un carnet de voyage nourri de quinze allers-retours Nantes-Ville-Evrard en Seine Saint-Denis où Cathie Barreau anime des séances d’atelier d’écriture à l’hôpital psychiatrique, et d’un commentaire en italique à l’écriture posée, réfléchie, tenue, qui pourrait s’affirmer comme un journal personnel.

De janvier 2009 à octobre 2010, l’écrivain construit sa résidence d’écrivain à travers ses rencontres avec les patients, les soignants, les animateurs, les enseignants, le personnel des autres services (atelier de ferronnerie, cafétéria, bibliothèque) qui forment un monde étrange, clos à certains égards, mais aussi ouvert à toute invention qui casse le connu de la vie quotidienne.

Au commencement de ce travail, l’auteur s’appuie sur son expérience des ateliers d’écriture en prison qu’elle a menés jadis, tant il est vrai qu’il existe des similitudes entre l’univers carcéral et l’univers psychiatrique où parfois l’un est dans l’autre et réciproquement.

Le projet entrepris est fragile, mais cette fragilité est promesse d’écoute et de création collective où les mots de chacun résonnent en harmonie avec ceux des autres, quitte à laisser jouer des temps de désunion et de fracas. L’enjeu est de sentir que « chacun sort de l’expression pour entrer dans le langage ». Bien sûr, l’écrivain s’appuie sur ses auteurs préférés pour mener à terme son projet, mais la parole des patients de Ville-Evrard s’inscrit de manière fondamentale dans ce qui apparait au fil de la lecture comme une composante essentielle du destin de Cathie Barreau.

DULLA

  

Solstice et au-delà

Cathie Barreau offre aux lectrices et lecteurs un très beau recueil de poèmes : Solstice et au-delà, un voyage dans le temps et l’espace à l’aune du « nous », cette belle expression du pronom personnel à vocation collective. Un temps qui se rétracte et qui devient extensible au fil des mots qui le façonnent et le cisèlent comme on construit un nid d’amour plein d’espérance. Car « … Etre/au-delà du solstice, c’est/comme avoir traversé/la mort… »

Des poèmes courts, puissants, qui s’incrustent dans la voûte du palais lorsqu’on les lit à voix haute, et qui font scintiller les yeux lorsqu’on les saisit silencieusement. Un exemple :

Les chats dorment et nous

regardons le ciel dans

ses nuages. Ce que nous savons

de l’hiver est qu’il s’efface

devant le printemps.

De même de la nuit qui s’éteint

devant le jour.

Aussi l’éphémère nourrit

nos désirs.

Et puis, en bas de chaque page, comme un bas-relief, quelques mots s’inscrivent comme en écho de chaque poème, et courent ainsi tout au long du recueil, produisant un autre poème où la discontinuité s’appelle silence et repos, et promesse d’une délivrance par la langue et ce qu’elle continue. Une affaire humaine, assurément.

DULLA

 

Visites aux vivants

Dans ce récit composé avec la mémoire des deux grands-mères, maternelle et paternelle, Cathie Barreau retrace la vie de gens de peu dans les campagnes de Vendée. Les Visites aux vivants sont celles que les morts entreprennent pour assurer les vivants qu’œuvrer à faire disparaître la souffrance, à se plonger dans la lecture et à pratiquer l’écriture contribue puissamment à la dignité des personnes humaines.

Ce roman familial commencé aux premiers mois de la Grande Guerre ‒ la guerre 1914-1918 ‒ laisse surgir aussi l’oncle Raymond qui claudiquera toute sa vie à la suite d’une pierre reçue dans le genou, le grand-père paternel, Emmanuel, blessé à la guerre qui, tombant du cerisier au soir de sa vie, se cassera à nouveau la jambe au même endroit, Abel, le père de l’auteur, placé à onze ans comme valet de ferme, et qui sera battu pour avoir laissé les vaches folâtrer, captivé qu’il était par l’alouette et la fauvette. Les traces d’humiliation, on les garde toute sa vie. Et puis, le lecteur fait la connaissance des arrière-grands-parents, de la tante Gisèle, une très belle jeune fille, qui fera apparaître des phantasmes de sorcières.

Il est un temps où le monde paraît immuable et où le mot révolte ne saisit pas la sensibilité des hommes. Juste la colère envers les « mossieurs », les « bourgeois » qui réclament le loyer de la ferme et la moitié de la récolte. « Que l’on soit exploité et détruit ne permet pas d’élever la voix ; le courage, on le garde pour travailler et trouver du pain tous les jours ».

Cathie Barreau accompagne ses aïeux en ces temps où la faim tenaille les corps et les esprits, comme un bel ange qui voudrait les nourrir et les rassasier. De bons aliments, de plaisir, de beauté. Mais les anges n’existent pas. L’écrivain, si, qui sait élever ces personnes par-delà les contingences de la vie. Visites aux vivants a reçu le Prix Marguerite Audoux.

DULLA

  

Comment fait-on l’amour pendant la guerre ?

 C’est un titre superbe que possède ce roman de Cathie Barreau : Comment fait-on l’amour pendant la guerre ? auquel répondent plus loin dans le corps du texte ces paroles de grande sagesse : « Quand les hommes sauront faire l’amour, il n’y aura plus de guerre ».

Ce roman enchevêtré ‒ les actions se passent à Nantes, à Beyrouth, en Occitanie, mais aussi dans la mémoire plus lointaine, celle des grandes guerres mondiales, et encore dans l’imaginaire des protagonistes et leur désir de se rencontrer et de s’aimer ‒ s’inscrit d’emblée sous la protection tutélaire d’un homme qui descend la rue Syria à Beyrouth, qui n’en finit pas de la descendre, et qui n’atteindra jamais le port. Cet homme est l’écrivain Jean-Marie Gustave Le Clézio. De cette vision, Cathie Barreau écrit cette phrase magnifique : « Au bout de l’éternité, on voit la méditerranée. »

Au commencement, pourrait-on dire, Donatienne écrit un roman à la demande de Jad, un journaliste libanais. Ce roman qui se passe au Liban est écrit en italique par Dona qui attend Jad qui doit venir de Beyrouth. Jad repartira pour Beyrouth et écrira à Dona par mels. Messages écrits en italique comme si le roman de Dona trouvait son pendant dans les échanges de Jad par voie électronique. La distance se creuse aussi dans le temps de vacance que s’offre Donatienne avec l’homme d’Occitanie qui lui fait redécouvrir la simplicité des choses loin du silence de Chatila enseveli dans le désastre. Mais Donatienne repartira pour Beyrouth dont elle sait que Jad ne pourrait vivre ailleurs avec cette certitude que « la guerre n’est pas un récit, c’est une impuissance à vivre, à parler, à écrire ».

Cathie Barreau écrit là un livre à la tonalité mélancolique où les êtres humains se cherchent et tentent de trouver une sérénité quasi impossible à vivre autrement que dans la fiction.

DULLA

 

Cathie Barreau à la médiathèque

       Au bout de l’éternité, on voit la Méditerranée

 L’écrivain Cathie Barreau était l’invitée de l’association D’Un Livre L’Autre à la médiathèque Naguib Mahfouz du centre pénitentiaire le 26 juin dernier. Le matin était consacré à une lecture-rencontre à la médiathèque de la détention femmes ; l’après-midi était réservé à la prestation pour les hommes, dans la salle de culte, de celle qui écrit aussi de la poésie.

L’œuvre de Cathie Barreau dont nous avions parlé le jeudi précédent au cours de l’émission CRI Fréquence Pierre Levée sur RCF est composée d’une dizaine de livres aux formes diverses : journal intime, roman familial, carnet de route, roman par lettres/mails, poèmes, des formes enchevêtrées aussi qui témoignent de la richesse du langage dans ses ruptures et ses continuités.

À écouter Cathie Barreau lire en grande beauté les textes qu’elle a conçus, le public pourrait imaginer qu’au commencement il y a dans sa vie de femme un secret morcelé, et que le défi qu’elle se donne est de rassembler les éclats, éclats de pierres précieuses, lumineuses ou sombres, et de les métamorphoser en mots, en langue pour dire la vie, la violence, la mort, c’est-à-dire ce qui travaille chaque être humain, êtres fragiles de l’humanité, ce bien commun à tous.

Alors le public entend dans la voix de la femme auteure lectrice la douceur, la sérénité, la mélancolie parfois, la brûlure de la souffrance, la tension du désir toujours, qui modulent l’invention des écrits dont la source est la mémoire revisitée par le langage. Une lecture magnifique !

Et puis, écrire, non pas décrire, donner à voir des images, montrer des lieux d’où surgiront nécessairement des personnages et des situations, tels furent les fruits des échanges entre Cathie Barreau et les personnes prisonnières où quelques bribes de vérité apparurent quand la puissance de vivre est précisée comme alternative à la guerre, l’égalité des hommes et des femmes comme l’au-delà de la brutalité des hommes, la confiance en soi comme la rencontre avec le visage de l’autre.

Et que demande la femme ? dit l’homme

Il y eut un long silence

Et la femme répondit :

Être libres à deux