Ma mère et moi
Ma mère et moi est un très court roman… ou une longue nouvelle. Des phrases de quelques mots. Une écriture elliptique en une séquence unique dans un temps/chapitres structuré en vingt-trois jours.
Un homme parle à sa mère (avec sa mère ?). Mais ce n’est pas vraiment une conversation. C’est un échange dans une grande économie de mots. Un échange surtout fait de silences – au pluriel. Et dans les silences, le lecteur est invité à combler la parole suspendue en imaginant ce que la pudeur de l’une et l’autre taise.
L’homme qui parle dans le récit s’exprime à la première personne du singulier – le lecteur peut donc endosser l’habit du narrateur. L’homme – Brahim Metiba – tente avec douceur de convaincre sa mère algérienne que la vie n’est pas immuable, qu’elle est sujette à changement, que la langue est une formidable richesse, même si on l’estropie. La mère l’estropie. La rencontre est scandée par des « oui » et des « non » et se ponctue souvent par « Ma mère me regarde ». Pour tenter d’aller au-delà d’un « eux/nous » étouffant pour le fils mais qui est « le vrai » de la mère, le narrateur introduit un biais : raconter l’histoire du Livre de ma mère d’Albert Cohen, un très beau livre où est évoquée aussi l’Affaire Dreyfus. Du coup, le seizième jour, c’est la mère qui dit « Je ». La mère devient la narratrice de sa vie, de sa relation à son fils, de celle qui n’a pas besoin de comprendre parce qu’elle voit les choses. Ce renversement sera-t-il propice à être vraiment ensemble ? Rien n’est moins sûr.
Brahim Metiba offre au lecteur un très beau livre, le premier d’une trilogie, avec ensuite, un autre livre lié aux relations avec le père, et un troisième évoquant la fratrie.
DULLA
Je n’ai pas eu le temps de bavarder avec toi
Second volet de la trilogie, Je n’ai pas eu le temps de bavarder avec toi, évoque la figure du père retourné en Algérie. Sur la table, un petit mot et un ticket de métro. Quelque peu désemparé sur ce que bavarder veut dire, le fils qui habite à Clichy-la-Garenne décide d’entreprendre avec ce ticket un « parcours de bavardage » avec le père.
Le père qui possédait un avenir de joueur de football a fait un autre métier. Quand il s’est arrêté de travailler, il cessa de vivre sans avoir rien transmis à son fils. Du moins, celui-ci le ressent ainsi. Pourtant, tous deux parlaient l’algérien, une langue qui coupe du monde. Et si la famille de la mère a combattu dans les rangs du FLN (Front de Libération Nationale), le fils ne sait rien de la famille du père.
Le fils – appelons-le Brahim – possède le désir, l’ambition, la volonté de réduire le fossé entre lui et son père. Le trajet en bus de Clichy au nord de Paris permettra-t-il de concrétiser ce projet ? Plusieurs événements reviennent à la mémoire de Brahim tandis qu’il regarde attentivement les « bruits » de la rue. Celui-ci par exemple : l’extrême droite qui distribuait un tract ignoble froissé par son ami Pierre avec qui il allait voir la pièce « Miss Daisy et son chauffeur » au théâtre Saint-Georges.
Arrivé au terme de cette journée particulière, le fils est sûr de deux choses : que l’écriture est une manière de réponse à la question « Comment agir ? » et que l’itinéraire l’emmène directement vers les livres d’Annie Ernaux chez Gibert Jeunes, librairie célèbre de Paris. Une journée qui possède le sens que « j’ai voulu lui donner » précise-t-il.
Alors que le précédent livre était un face à face avec la mère, ce livre est un déplacement sur les traces du père. Le troisième livre La voix de Papageno interrogera les rapports entre frères en prenant appui sur l’opéra de Mozart La flûte enchantée.
DULLA
La voix de Papageno
C’est un livre surprenant que donne au lecteur Brahim Metiba. Le dernier tome d’une trilogie dont les deux premiers sont consacrés au thème de la mère et du père. La voix de Papageno s’appuie librement sur l’histoire de l’opéra de Mozart « La flûte enchantée » pour faire entendre les sentiments d’amour (et parfois de jalousie) qu’une personne peut ressentir pour son frère.
L’espace choisi pour exprimer la vérité, l’eau et le feu traduisant les soubresauts de l’histoire humaine est organisé en deux dimensions : les ruines de la ville de Haz qui conçut jadis un alphabet (on devine derrière cette ville inventée la cité de Palmyre qui, elle aussi, développa une écriture particulière – l’écriture palmyrénienne) et le théâtre de la ville de Stipra.
Découpé en dix-sept chapitres appelés scènes, précédés d’un prologue et suivi d’une sorte d’épilogue, La voix de Papageno met en jeu le regard d’un jeune garçon porté sur son frère, Tamino, qui pour lui est un Dieu. Tamino dont Nadja, la fille de l’archéologue qui périra le cou tranché par des barbus aux longues robes noires, est amoureuse. Tamino à la voix merveilleuse, qui est un vrai frère aîné, réconfortant pour son cadet, phare s’il en est d’une vie compliquée par l’éducation et la société fermée qui, elle et l’autre, peuvent conduire à la folie et à la mort. Mais Papageno n’est pas dans l’imitation du frère.
La voix de Papageno est le chant des vaincus qui, face à la violence des événements, exprime un impérieux désir d’éternité et de silence. Car si le frère est un dieu et l’amie de son frère, une déesse, que reste-t-il au pauvre frère humain pour faire entendre le son de sa propre voix ?
DULLA