L’Université de Rebibbia par Goliarda Sapienza

Goliarda Sapienza fut condamnée à une peine de prison. L’Université de Rebibbia est le récit de son incarcération pour un vol de bijoux commis chez une amie. Elle devient, sous son propre nom, l’une des prisonnières et découvre progressivement les codes nécessaires à la survie. Il s’agit de « ne pas se plonger dans la souffrance […] Bloquer l’imagination » ; de ne pas manifester d’impatience qui « est une ennemie en prison […] il n’y a pas d’espace suffisant pour le rythme précipité de cette émotion » ; d’être dans « la juste mesure, dans ce royaume de l’excès » ; de s’initier à percevoir « l’impénétrabilité de l’espace carcéral avec ses lois oniriques de dilatation et de contraction ». L’écrivaine dit sobrement : « Avec le temps on apprend à marcher », c’est-à-dire à ne pas se laisser entraîner par les autres.

Les autres, Tina, Annunciazone, Barbara, Romana, Marcella, Susie Wong, Marro, Roberta, détenues de droit commun ou politiques, inventent cependant un langage premier où, justement, « ces femmes connaissent encore l’art de l’attention à l’autre, elles savent que de la condition psychique de l’une peut dépendre celle des autres ». Ne pas montrer d’assurance, ni de sérénité, et ne pas oublier les interdits entre prisonnières. Mais être là l’une pour l’autre dans un univers où le rythme du dehors est le danger, sachant que « la prison a toujours été et sera toujours la fièvre qui révèle la maladie du corps social ». De ces présences et de ces rencontres naît quelque chose de difficilement définissable : « la fusion de l’expérience et de l’utopie », des échanges intellectuels et des méditations « pour exister avec soi-même et les autres ».

Goliarda Sapienza capte l’étrangeté de la concentration carcérale sans omettre « l’horreur d’être expulsée de la société humaine », ce sentiment d’être « morte socialement pour toujours ». La phrase est toujours bien rythmée, lourde du poids de la lucidité et de l’anxiété, de la nausée et de la panique, de la surprise et de la connivence. Le récit dit aussi pourquoi les femmes supportent mieux la prison que les hommes, simplement parce qu’elles possèdent « un passé de coercition ».  

L’Université de Rebibbia est un moment de bonheur pour Goliarda Sapienza, sauvée ainsi de la dépression et toujours dans l’attente de voir publier son chef d’œuvre : L’art de la joie.