Les fils de la médina par Naguib Mahfouz

Les fils de la médina, chef d’œuvre du prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz, figure tutélaire de la médiathèque de la prison de Poitiers-Vivonne, a d’abord été publié en feuilleton dans le journal quotidien égyptien Al-Ahram en 1959 avant d’être édité à Beyrouth puisqu’aucun éditeur égyptien ne voulait assumer sa publication, l’Université religieuse traditionnelle d’Al-Azhar ayant interdit l’œuvre.

Aux confins du désert se dresse la Grande Maison où habite Gabalawi, l’ancêtre d’une famille qui s’est développée en plusieurs branches rivales installées dans un quartier du Caire, la Mère des Cités. Gabalawi est le propriétaire du waqf, le patrimoine familial indivis organisé en Dix Conditions inconnues des autres habitants du quartier, et possède le privilège de nommer l’intendant du waqf. Or cette gestion profite à quelques uns et laisse la majorité dans la misère, la crasse et la terreur. Les futuwwas, officiellement protecteurs des gens de chaque secteur du quartier, sont en réalité des êtres hautains, arrogants et brutaux qui perçoivent indûment le prix de la protection et persécutent leurs protégés à coup de gourdin, instrument qui peut aussi donner la mort. Les habitants du quartier sont « de la poussière » sous leurs pieds.

Les chapitres portent le nom de cinq hommes ‒ Adham, Gabal, Rifaa, Qasim, Arafa. Les quatre premiers sont nommés gérants du bien commun par la volonté suprême de Gabalawi, en des périodes historiques successives après la disparition de chacun d’eux. Des personnalités singulières qui vont tenter de créer la justice et la paix là où règnent la violence et le désordre. Le premier, marchand de concombres, agit dramatiquement au nom de la fraternité ; le second, charmeur de serpents, emploie la force pour répartir équitablement les dividendes du waqf ; le troisième, chasseur de mauvais esprits, pratique la charité sans se préoccuper du waqf ; le quatrième, berger, rassemble la communauté pour se débarrasser des futuwwas et transformer le quartier. Le cinquième, Arafa, alchimiste surgi de nulle part portant un projet explosif, tente, lui, de découvrir le secret des Dix Conditions. Si Gabal disait : « le fléau de notre quartier, c’est l’oubli », Arafa, s’adressant à son frère, affirme : « le plus grand des crimes, c’est la résignation, ne l’oublie pas ».

Les fils de la médina est un roman parabole d’un sombre merveilleux où l’écriture de Naguib Mahfouz circule en virtuosité, tendre et impitoyable avec les enfants du quartier, d’une ironie féroce, laissant aussi toute leur place aux chiens, aux chats, aux rats, aux poux et aux mouches dans cet univers encombré de pierres et de briques. Il y a pourtant les jardins des privilégiés comme celui de la hanem, la femme de l’intendant, « embaumé de jasmin, bruissant du gazouillement des oiseaux et du soupir des jets d’eau » qui reste comme une promesse de bonheur, de tranquillité, de rêverie. Et le chant des conteurs fumeurs de haschisch accompagnés de leur radab reprenant sans cesse l’odyssée légendaire des cinq héros, en attente de l’aube lumineuse où les tyrans auront chuté définitivement.