L’étoile de ceux qui ne sont pas nés par Franz Werfel

Pour son magnifique roman publié dans la prestigieuse collection Ailleurs et Demain chez Robert Laffont, Franz Werfel puise dans l’immense Bibliothèque historique de Diodore de Sicile l’idée de ce titre majestueux L’étoile de ceux qui ne sont pas nés.

F.W., mort de sa belle mort, est convoqué par B.H., un ancien condisciple ressuscité, pour un voyage d’exploration qui le propulse cent mille années plus loin que les débuts de l’humanité. Écrivain-voyageur invisible, F.W. découvre le paysage d’une cité, Panopolis, développée à l’échelle de la Terre où des êtres nus sans corps vieillissant recouverts de voiles aux couleurs diaphanes circulent mentalement en une fraction de seconde. Invité à une noce, F.W. apprend de ses hôtes l’accomplissement de « la destinée sociale de l’humanité » : l’abolition de la malédiction du travail par la suppression de la technique, et transcrit pour le futur lecteur de ses notes l’organisation politique mentale de cette société où le fait d’avoir été choisi comme responsable de la communauté est ressenti comme le plus grand malheur.

Pour ne pas perdre le fil de l’histoire, F. W. ponctue régulièrement le récit de son aventure d’une référence qui permet de se situer dans le temps : la onzième année cosmique de la Vierge. (Nous laissons le lecteur découvrir à quoi ce point d’appui correspond réellement). F. W. continue son voyage, découvrant les espaces singuliers au-dessus de Panopolis, la bibliothèque, lieu spécial de l’imaginotypie et de la fulgotypie, les caractères-étoiles et l’écriture stellaire, le Djebel, la Mare Plumbinum, les planètes aux noms familiers, la ville basse derrière le parapet ‒ la jungle ‒ où vivent les réfractaires au jeu de patience mental. Un drame se joue. Un sympayan est alors organisé sur la scène du théâtre pour dénouer le conflit ; mais le sang coule. Cependant F. W. retrouve Io-La, dite Lala, la fiancée de la noce séduite par la jungle, et l’union des deux souffles dans le baiser opère une transformation sociale étonnante. Investi d’une mission de négociateur, F. W. revient dans le Djebel et poursuit son chemin vers le Jardin d’Hiver qui abrite des berceaux-tombeaux remplis d’humus rétrogénétique où le vivant génère une forme d’immortalité.

Ce voyage de deux jours et demi et trois nuits dans le monde astromental se termine de façon étrange. F.W. est en mesure de relater les effets du temps spirituel avant même que les instants ne soient apparus. Sachant que la mort est devenue une aventure radieuse, le lecteur peut méditer en toute sérénité cette parole de vérité sortie d’une bouche éminente : « nous éloignant du début de toute chose, nous nous approchons de la fin de toute chose ». Vérité, car le roman utopique au baroque somptueux de Franz Werfel dégorge d’espoir et de raison autant que d’imagination et de folie. Il est une invitation à une douce errance dans le temps et l’espace, jeu d’ombre et de lumière, épiphanie d’une humanité où l’être humain est dépouillé de tout souci.