Fariboles
Dimitri Rouchon-Borie propose avec Fariboles des séquences de la justice ordinaire avec son cortège de comparution immédiate au tribunal correctionnel. « Des croquis d’audience » comme le précise l’auteur dans un avant-propos présentant son projet : parler de situations pénales relativement banales qui ne sont pourtant pas anodines et qui en disent long sur « les affres du mal dans ses petites et grandes œuvres ».
Dès la première page, le lecteur est invité à partager la qualité de langue de l’écrivain décrivant des scènes de la vie sociale où la dérive d’hommes ou de femmes heurte la quiétude et la sérénité de gens qui n’imaginaient pas se retrouver un jour en des circonstances pénibles, parfois traumatisantes. La langue littéraire et le rythme des phrases offrent alors des tableaux de genre aux lignes de force très nettes caractérisant des accidents de la vie où des personnalités délinquantes tentent de défendre leur liberté compromise par des actes qui sont autant d’infractions au regard de la loi. La vérité littéraire recouvre la vérité judicaire et témoigne de la vulnérabilité de la condition humaine.
Fariboles parle de la vie à travers la venue à la barre de gens aux comportements pittoresques, leurs manières de répondre au président ou à la présidente du tribunal qui font souvent preuve de mansuétude, tentant de rendre rationnelles des suites d’événements apparaissant invraisemblables au sens commun. Où la défense de la liberté se confond souvent avec la défense d’intérêts indéfendables et où le président apostrophe parfois le justiciable en un « camarade » qui est moins ironie que désir de maintenir l’autre dans la communauté des citoyens. Et toujours est présent le narrateur, que l’on sait journaliste, pour exposer situation et faire entendre les dialogues, étonnants, truculents, amusants et désespérants. Journaliste qui se métamorphose en écrivain pour le bonheur du lecteur.
DULLA
Le démon de la colline aux loups
Le démon de la colline aux loups, le livre le plus personnel de Dimitri Rouchon-Borie, est le roman de la vie d’un homme en prison dont les jours sont comptés. Dans sa cellule, cet homme frappe sur la machine à écrire qu’il a pu obtenir du directeur le récit de sa vie où l’atrocité le dispute à l’amour, la violence à la tendresse, la culpabilité à la liberté.
Au commencement, si l’on peut dire, il y a l’ignorance de presque tout et le nid qui protège malgré tout. Il y a surtout le démon qui s’insinue dans la personnalité de Duke et qui devient obsessionnel. Le démon, une ressource pour se sentir plus fort et qui est ressenti tout autant comme une entrave dans la marche vers une reconstruction de soi.
La phrase est longue comme une respiration sans fin qui dit la souffrance de Duke dans les lieux qu’il traverse, qui exprime l’attachement à la « sœur aux yeux de roche », Clara, dont il apprendra le prénom plus tard pendant l’enquête, qui vit le procès comme « un vide qui se remplit d’un autre vide ». Une phrase sans autre ponctuation que des points de temps à autre ; mais nulle virgule ; nul point-virgule, pour reprendre son souffle, comme si s’accrocher aux mots, tenir le pari de l’écriture allait permettre de connaître ce à quoi « ça engage » : aller au-delà de la vengeance sous un habit de pénitent nourri des Confessions de Saint-Augustin.
Le démon de la colline aux loups est un livre de haute écriture qui précipite le lecteur dans un temps immobile où une forme de sidération laisse filtrer une empathie certaine pour le personnage principal, Duke. Cette présence potentielle du lecteur l’empêcherait de rester dans la solitude qui lui « tape sur le système ». Mais, au fait, pour qui, pour quoi, Duke, écrit-il ? Peut-être bien pour décrocher la lune dont parlait sa mère à défaut de sauver son âme !
DULLA
Ritournelle
Ritournelle est un livre à double fond. Il fut d’abord un sujet de chronique judiciaire avant de devenir un roman, quand bien même le mot « roman » n’est pas couché sur la page de titre. Et ce roman est l’exposition d’un fait divers sordide qualifié judiciairement d’affaire de « meurtre avec torture et actes de barbarie ». Le travail d’écriture transforme le récit en œuvre tragique, le fixe en épisode désolante de la condition humaine, et le fait accéder au domaine littéraire.
Le narrateur, journaliste judiciaire, parle à la première personne du singulier. Il dit « je » ; ce qui permet au lecteur de se glisser dans la peau du personnage dans la salle de cour d’assises et d’assister au procès de trois mis en examen : monsieur Ka, monsieur Ron, et monsieur Petit dont les physiques sont en parfaite correspondance avec le nom. Un trio solidaire dans une histoire de la bêtise ordinaire nourrie de la haine de l’autre, qui, en l’occurrence, se nomme monsieur Voûté.
Au fil des interrogatoires successifs des accusés par la présidente du tribunal, le lecteur découvre le déroulement des violences sur fond de cupidité, d’alcool, de drogue, de misère sexuelle, et les réponses, incertaines, balbutiantes, grossières, qui sont données à la magistrate témoignent d’une stupidité sans bornes d’individus qui choisissent la mise en pièces de leur victime et préfèrent la force brutale à l’humanité.
Dimitri Rouchon-Borie ramène le lecteur à un environnement plus raisonnable lorsqu’il le laisse écouter l’expert en morphoanalyse de sang, un gendarme de l’IRCGN, capable de retracer les trajectoires de sang projeté dans un contexte criminel. Une bouffée d’oxygène, si l’on peut dire !
DULLA